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Dossier : Ce géant suisse endormi était aussi prestigieux que Rolex

L'industrie horlogère peut être cruelle et impitoyable, et les marques les plus puissantes se sont souvent retrouvées engagées dans une lutte darwinienne pour leur survie.

Les récessions économiques, les tragédies familiales et même le communisme russe ont tous donné le coup de grâce à des entreprises horlogères en difficulté. Et ce, avant même la crise du quartz des années 1970 qui a anéanti d'innombrables fabricants, à l'instar de la comète géante qui a fait disparaître les dinosaures.

Même les marques qui ont survécu à cet événement cataclysmique n'ont pas toujours eu un parcours facile depuis lors, une poignée d'entre elles ayant vu leur renommée s'effacer devant le succès de leurs anciens rivaux et celui de jeunes pousses ambitieuses.

Prenez le cas très particulier d'Ebel. À l'exception d'une poignée de pays où elle a toujours été tenue en haute estime et jouit de la notoriété qui lui est due, elle est actuellement considérée comme l'une de ces marques de luxe marginales qui n’est jamais mentionnée dans les Top 10 des sites web et les beaux livres de type « World's Greatest Watchmakers ».

Vous trouvez ça injuste ? Absolument ! Bien que son nom ressemble à celui d’un fromage suisse, nous parlons d'une entreprise vieille de 112 ans qui, à la fin des années 1980, occupait la troisième place sur le marché des montres de luxe. Une entreprise, en outre, qui a reçu le soutien d'une pléthore de célébrités et de grands sportifs, de Harrison Ford (alors la plus grande star de la planète) au grand patron de la Formule 1, Nikki Lauda.

Si elle a produit des montres à quartz avec brio dans les années 1980 et 1990, elle n'a jamais totalement abandonné ses racines mécaniques, que ce soit en utilisant des mouvements maison ou un certain calibre Zenith qui a sauvé Rolex du marasme des chronographes.

Alors, où et quand Ebel a-t-elle perdu la main, et que fait cette belle marque pour remonter en haut du classement, là où elle doit être ?

Un pari précoce

Ebel a été fondée par un couple, Eugène et Alice Blum, à La-Chaux-de-Fonds, en Suisse, en 1911. Convaincus que les montres-bracelets représentaient l'avenir - un peu comme le cofondateur de Rolex, Hans Wilsdorf, qui a créé Rolex trois ans plus tôt - le couple prit un énorme risque en renonçant complètement à la montre de poche, toujours à la mode, et en concentrant tous ses efforts dans ce nouveau style. (Le nom Ebel, d'ailleurs, était une contraction de "Eugene Blum et Levy", Levy étant le nom de jeune fille d'Alice).

En lançant son premier modèle en 1912, la marque a rapidement commencé à remporter des prix lors des principales expositions européennes et à exporter vers la Russie et l'Autriche-Hongrie. En 1918, la première guerre mondiale ayant relancé la popularité de la montre-bracelet, il était clair que le pari de Blum avait été largement gagné.

Lorsque le fils du couple, Charles, reprit les rênes en 1929, l'entreprise était en bonne santé et il poursuivit son expansion en développant la marque sur le marché lucratif des États-Unis. La seconde guerre mondiale n'a été quant à elle qu'un obstacle mineur pour Ebel, qui est devenu le fournisseur officiel de montres de la Royal Air Force britannique.

L'héritier réticent

Charles a eu plusieurs enfants, dont le futur chef de l'entreprise, Pierre-Alain. Dans les années 1960, Pierre-Alain quitta la Suisse pour l'effervescence de New York, où il travailla pendant cinq ans dans la boutique de montres haut de gamme Lucien Piccard à Manhattan, qui comptait parmi ses clients Frank Sinatra.

À New York, au plus fort de l'ère Mad Men, Pierre-Alain apprit les techniques de marketing agressif à l'américaine, sans avoir vraiment envie d'utiliser ses nouvelles connaissances pour aider l'entreprise familiale en Suisse.

Il était trop occupé à profiter de tout ce que la Grosse Pomme avait à offrir et il y serait volontiers resté pour siroter des whisky sours au Waldorf Astoria s'il n'avait pas été rappelé à la maison par son père en 1972. Charles avait identifié Pierre-Alain comme étant le seul de ses enfants ayant le sens des affaires pour reprendre l'entreprise. Si Pierre-Alain ne rentrait pas en Suisse, Charles allait alors être obligé de liquider Ebel.

Quelques années après le retour de Pierre-Alain, Charles fut contraint de prendre sa retraite à la suite d'un accident, et son fils, désormais réconcilié avec la Suisse, racheta ses parts pour devenir l'unique actionnaire et avoir ainsi le contrôle absolu de la société.

Avec la crise du quartz qui se profilait, Pierre-Alain commença à transformer le mode de fonctionnement d'Ebel avec une efficacité impitoyable. Il remplaça la gestion à l'ancienne par des stratégies marketing apprises à New York et obtenu un contrat lucratif pour la fourniture de mouvements à Cartier.

Il investit également dans de nouvelles collections de montres conçues pour séduire la génération d'après-guerre de plus en plus mobile, avec des modèles cocktail pour femmes en or 18 carats, qui dégageaient un luxe haut de gamme et faisaient concurrence à des marques comme Piaget et Patek Philippe.

La crise du quartz ? Quelle crise du quartz ?

Au milieu des années 1980, Ebel augmenta ses effectifs de 55 à plus de 500 employés à temps plein et multiplia son chiffre d'affaires par 40 en l'espace d'une décennie.

Sur le plan du design, une esthétique propre à Ebel vu le jour et qui, dans une certaine mesure, perdure aujourd'hui : des montres élégantes, sport-luxe, en acier ou bicolores, associées à des bracelets intégrés aux maillons en forme de vague ou de E.

Les lunettes sont munies de petites vis, ce qui leur donne un petit air de AP Royal Oak. Les couronnes sont quant à elles partiellement encastrées, et arborent un look d’apparence robuste sans pour autant avoir l’air massives.

Ebel a fabriqué ses propres mouvements à quartz qu'elle a fournis à d'autres entreprises, mais elle n'a pas cessé de vendre des montres mécaniques. En effet, elle a été la première société à approcher Zenith lorsqu'elle a eu besoin d'un mouvement de chronographe automatique fiable.

Par conséquent, les montres de la ligne Sport Classic Chrono des années 1980 sont équipées du légendaire mouvement El Primero Calibre 400, celui-là même que Rolex a utilisé - bien que fortement modifié - dans sa première Daytona automatique.

On peut dire que les années 80 ont été les jours de gloire d'Ebel. Lors de ventes aux enchères prestigieuses à New York, des personnalités comme Clint Eastwood et Madonna ont fait don de leurs montres Ebel à des œuvres de charité. Des joueurs de tennis et de snooker de renommée mondiale comme Stefan Edberg et Steve Davis ont soutenu la marque, tandis que l'acteur Don Johnson a porté une Ebel en or dans Miami Vice, l'une des séries TV les plus regardées de la décennie.

Les problèmes commencent dans les années 90

Dans les années 90, il semblerait que la société Ebel se soit enfermée dans une certaine routine esthétique, ne s'écartant que rarement d’un style très caractéristique qui lui était propre.

La collection Kirium de TAG Heuer de l'époque, qui a l’air aujourd'hui un peu dépassée, était très Ebelesque, mais la diversité du catalogue de TAG Heuer lui a permis de laisser tomber la collection lorsque son look n’était plus à la mode. Ebel, en revanche, se retrouva avec certaines collections sur les bras, sans alternatives valables.

De plus, les montres mécaniques revenaient à la mode, mais la production d'Ebel était désormais essentiellement constituée de montres à quartz, qui étaient alors associées à un prix abordable et à une production de masse - tout le contraire du luxe. Ironiquement, Ebel surmonta la crise du quartz avec une relative facilité, mais elle fut alors menacée par le renouveau de la mécanique. Pire encore, au milieu des années 90, la Royal Oak Offshore d'AP donna le coup d'envoi d'une tendance aux montres plus grandes et Ebel mit du temps à réagir, son inertie ayant été amplifiée par plusieurs changements de propriétaires.

Après avoir appartenu pendant plus de 80 ans à la famille Blum, Ebel a été vendue par Pierre-Alain en 1994 au groupe Investcorp qui, n'ayant pas fait grand-chose de la marque, l'a revendue en 1999 à LVMH. Ebel fut alors une sorte de petit dernier éclipsé par les chouchous de LVMH, TAG Heuer et Zenith, qui sont toujours à ce jour dans le groupe LVMH.

Vers la fin de l'année 2003, LVMH, qui envisageait peut-être déjà de faire une offre sur la marque montante Hublot (qu'il a rachetée en 2008), décida de vendre Ebel au groupe Movado pour 62,2 millions de dollars.

Et Ebel se retrouva enfin sous la tutelle d'une marque qui allait prendre soin d’elle.

Nouveau millénaire, nouvelle direction !

Il ne fait aucun doute que l’arrivée d’Ebel dans le groupe Movado a donné un nouveau souffle à la marque, mais elle a encore un long chemin à parcourir avant de retrouver la première division de l'horlogerie.

Pourtant, ce n'est pas par manque d'effort. Depuis le rachat par Movado, Ebel a lancé de nombreuses campagnes visant à attirer une nouvelle génération de fans. Il y a une dizaine d'années, la top-modèle brésilienne Giselle Bundchen a été engagée pour une série de publicités dans la presse et des partenariats stratégiques ont été conclus avec plusieurs clubs de football européens de haut niveau, dont Arsenal et le Real Madrid.

La marque développa même un mouvement chronographe exclusif spécialement conçu pour chronométrer les matchs de football - une première mondiale.

Malheureusement, à l’époque, le monde n'était pas prêt pour une collaboration entre le football et les montres de luxe, et la stratégie semble avoir été abandonnée. Cela a donc dû être très frustrant de voir Hublot devenir la montre de prédilection des riches footballeurs quelques années plus tard, en s'associant à des clubs comme le Paris St Germain et en devenant le chronométreur officiel de la Premier League. Dommage !

Ebel était en avance sur son temps. Ou peut-être avait-elle juste besoin du génie marketing de Jean-Claude Biver pour que sa collaboration avec le football fonctionne.

Des signes prometteurs

Aujourd’hui, il semblerait qu'Ebel traverse une période de réflexion. Elle a cessé de recruter des top-modèles de luxe comme ambassadeurs de marque et de courir après les grands clubs de football, mais elle apparaît comme le chronométreur officiel des tournois de tennis WTA.

De toute façon, qui a besoin d'ambassadeurs officiels quand des gens comme Max Busser de MB&F chantent vos louanges.

Lorsqu'il a acheté une montre après s'être remis d'un accident de la route dévastateur il y a quelques années, Busser a préféré un chronographe Ebel à une Daytona parce qu'il était « beaucoup plus intéressant qu'une Rolex ». Il a ensuite décrit les modèles vintage dotés de mouvements El Primero comme « un investissement incroyable » dans l'émission Talking Watches de Hodinkee.

En ce qui concerne sa gamme actuelle, un rapide coup d'œil sur le site Web d'Ebel révèle une belle sélection de modèles à quartz et mécaniques, ces derniers étant équipés de mouvements Sellita fabriqués en Suisse.

Oui, la ligne Sport Classic renvoie à la quintessence du look Ebel des années 1990, avec ses bracelets intégrés à maillons ondulés et ses lunettes à 5 vis - cela ne plait à tout le monde - mais si vous cherchez quelque chose de plus à la mode, il y a la montre de plongée Discovery en bronze avec un cadran vert galvanique. Elle est magnifique et au prix très compétitif de 2 500 euros (prix de détail recommandé). À défaut, vous pouvez essayer de trouver un chronographe Ebel d'occasion avec un mouvement El Primero.

Il vous coûtera bien moins cher qu'une Rolex Daytona.

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